Les "mamans cantines", un nouveau débouché possible pour les paysans?

Expertise de terrain
Langue(s) : Français
Filières : Multifilières
Pays : Togo

Nasser Lawani est chargé du suivi-évaluation des projets de l’association togolaise Entreprises, territoires et développement (ETD). Une des missions d’ETD est de promouvoir des entreprises mettant en relation producteurs agricoles et demande urbaine. ETD s’est tournée vers des activités de plaidoyer avec l’ambition de voir instituer un cadre légal pour les marchés institutionnels, dont ceux des cantines scolaires.

L’État togolais est-il impliqué dans la mise en œuvre des cantines scolaires ?

Oui ! Le processus a débuté en 2002 avec le Programme d’éducation à la base mis en œuvre par la Direction des enseignements périscolaire et primaire. Avec l’appui de l’Unicef, des cantines scolaires ont été instaurées dans la Région maritime. Entre 2006 et 2008, le Projet de développement rural intégré a créé d’autres cantines dans la Région des Savanes. Il a été suivi d’un Programme de développement communautaire de 2008 à 2016. La restauration des écoliers a dès lors été organisée autour de « mamans cantines », des cuisinières sélectionnées au sein des communautés bénéficiant du programme. Des ressources financières leur sont attribuées pour l’achat des denrées. Depuis 2017, ces mamans cantines sont soutenues dans le cadre du projet Filets sociaux et services de base coordonné par l’Agence nationale du développement à la base (Anadeb) et mis en œuvre par 8 ONG pour ce volet (Adra Togo, Croix-Rouge Togolaise, etc.). 304 cantines scolaires, réparties dans 22 des 39 préfectures, sont financées. 92 000 écoliers par an sont concernés. 

Et pour le financement des achats de denrées ?

Lorsque la Banque mondiale était impliquée, le budget alloué aux cantines scolaires s’élevait à 2,5 milliards de FCFA par an. L’État apportait 1 milliard de FCFA et la Banque mondiale 1,5 milliard de FCFA. Les plats vendus avaient une valeur de 165 FCFA. Depuis le retrait de l’institution en janvier 2020, l’État finance seul le programme. La loi relative à l’alimentation scolaire du 23 juin 2020 oblige l’État à consacrer, chaque année, une part de son budget aux cantines scolaires. Cette somme est aussi destinée au financement des charges administratives, la rémunération du personnel qui assure le suivi des cantines et au paiement des formations destinées aux mamans cantines. Le programme bénéficie également de dons ponctuels faits par certains alliés du Togo. C’est ainsi qu’en 2020, les cantines ont reçu un don en nature des États-Unis composé de céréales, de soja et d’huile. Malgré cela, la valeur des plats a été ramenée à 125 FCFA. Il est également demandé aux parents une contribution financière d’une valeur de 10 FCFA. Dans ces conditions, il est compliqué de toujours assurer un repas équilibré aux enfants. Normalement chaque déjeuner est constitué de protéines animales, de riz, de sauce tomate et de fruits mais quelquefois il n’y a pas de fruits. Par ailleurs, du fait de la diminution du budget, les proportions ont également été revues à la baisse. 

La loi précise que les produits destinés aux cantines doivent être prioritairement issus de la production locale. Comment cela se traduit-il sur le terrain ?  

Avant d’être engagées dans leur mission, les mamans cantines sont sensibilisées et formées à l’usage des produits locaux ainsi qu’à la confection des mets. Elles ont à leur disposition un guide. Compte tenu des réalités du terrain, certaines s’en écartent et proposent des plats avec ce qu’elles trouvent, c’est-à-dire des produits pas nécessairement togolais. Sur le marché local, il y a un problème de disponibilité et de qualité. Les échanges avec les mamans cantines nous ont révélé que certaines préfèrent aller vers des grossistes plutôt que vers les producteurs. Ces grossistes se fournissent auprès d’autres marchés, ainsi l’origine des produits est incertaine. C’est un problème qu’il faut essayer de résoudre. Malgré tout, l’Anadeb insiste sur le fait que pour l’alimentation scolaire, il faut donner la priorité aux produits de proximité.  

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Voir l'entretien complet. 

Pour creuser le sujet :

- AFL et ETD, Étude de faisabilité de l’approvisionnement des cantines scolaires en produits locaux au Togo et au Bénin, 2021

- AFL, Agir sur les systèmes alimentaires des territoires, 2021

- Estelle Dandoy, Organisations paysannes et marchés institutionnels au Burkina Faso, 2020

- David Eloy, Gianluca Ferrera, Tahirou Traoré, Achats institutionnels : un défi stratégique pour l'agriculture ouest-africaine, 2019

- Documentaire de Dominique Guélette, Les cantines scolaires de la région de Dakar, 2018

- Dominique Laure, Mamadou Niokane, Au Sénégal, des cantines scolaires proposent des produits locaux, 2016