Dynamiques agricoles en Afrique subsaharienne : une perspective à 2050

Étude/Synthèse/Article
Langue(s) : Français
Thématiques : Politiques agricoles et alimentaires

Grâce à un outil de modélisation quantitatif (Agribiom), cette étude dessine les dynamiques agricoles de l’Afrique dans le système alimentaire mondial. Quelles que soient les hypothèses retenues, la productivité par actif ne pourra pas rejoindre celle des pays développés. Ces derniers sont quant à eux confrontés aux problèmes sanitaires, sociaux et environnementaux posés par une industrialisation toujours plus grande de l’agriculture. L’agroécologie est une solution d’avenir pour maintenir des emplois agricoles décents, sous réserve de trouver des moyens de rémunérer les services rendus par ce type de production.

Photo riziculture en Côte d'Ivoire © CIDR

La FAO prévoit une croissance de la disponibilité alimentaire pour les Africains

Selon les hypothèses retenues par la FAO, entre 2006 et 2050, la croissance économique en Afrique serait proche de la moyenne mondiale, soit  + 4 % par an. En revanche,  l’augmentation des surfaces cultivées (+ 20 %), la production de calories végétales (+ 164 %) et  animales (+ 185 %) seraient plus fortes qu’ailleurs. Grâce à ces performances, la disponibilité par habitant en calories végétales augmenterait de 21 % contre 9 % mondialement.

Mais les importations alimentaires nettes doublent d’ici 2050

Ces résultats doivent être relativisés : l’Afrique part de très bas et la croissance démographique est forte (+ 124 %). Les importations alimentaires devraient doubler d’ici 2050 (alors que l’Afrique était excédentaire en 1961). De plus la disponibilité moyenne par habitant en produits animaux (viande, œufs, lait) n’augmente quasiment pas, ce qui creuse l’écart avec les autres régions.

La hausse de la population agricole rend impossible la convergence des productivités

Ce que révèle cette recherche, c’est aussi la valeur extrêmement faible qu’atteindrait la productivité moyenne du travail agricole en Afrique. Pour qu’elle se hisse au niveau asiatique, il faudrait soit une augmentation des surfaces cultivées de 175 millions d’hectares (43 millions seulement dans le scénario FAO), soit une hausse des actifs agricoles limitée à 37 millions (150 millions dans le scénario FAO). Même dans ce cas de figure, elle continuerait de diverger avec celle des régions développées. Elle serait par exemple 245 fois inférieure à celle de l’Amérique du Nord où les dynamiques sont bien différentes.

La région nord-américaine devrait en effet continuer à se vider de ses actifs agricoles pour les remplacer par des équipements motorisés toujours plus imposants. Il y aurait ainsi en moyenne 189 hectares par actif agricole en 2050, contre moins de 0,8 hectare en Afrique et Asie dans le scénario FAO.

L’impossible disparition des paysans dans le monde en développement

De telles dynamiques interrogent le modèle de « croissance moderne » qui imprègne les politiques du développement depuis un demi-siècle. Dans ce paradigme, les actifs agricoles pauvres sont amenés à migrer en masse vers les autres secteurs (industries, services) pour permettre aux actifs agricoles restants d’augmenter la productivité de leur travail, en théorie grâce à des intrants industriels, en réalité davantage par agrandissement de l’exploitation et motorisation des opérations culturales.  C’est ainsi qu’au terme de ce processus enclenché au XVIIIème siècle, les pays développés ont atteint un état pouvant être qualifié de « sans agriculture » (moins de 3 % des actifs et moins de 3 % du PIB).

Une telle transformation structurelle, historiquement datée, peut-elle se reproduire ailleurs ou bien ses coûts financiers et humains ne risquent-ils pas d’être plus élevés que par le passé ? On observe en effet des trajectoires « dérivantes » en Asie, en Amérique latine et en Afrique, où, faute d’offre de travail suffisante en dehors de l’agriculture, le nombre d’actifs agricoles continue d’augmenter. Cela réduit alors souvent la taille déjà petite des exploitations que des augmentations mêmes fortes des rendements agricoles (Asie) ne suffisent pas à compenser : l’écart de revenu avec les autres actifs se creuse.

L’agroécologie est une issue mais pose d’énormes défis

Les modèles classiques de baisse drastique des actifs agricoles sont sans doute trop circonscrits aux contextes historiques et géographiques qui les ont portés. Des pistes d’avenir résident dans l’ « agroécologie », sous réserve que cette nouvelle agriculture soit aussi rémunérée pour les services écologiques et sociaux rendus, localement et globalement. L’Afrique comme l’Asie pourraient approfondir cette piste, par contrainte plutôt que par choix.

Défis techniques, financiers mais également institutionnels car il faudrait définir les modalités de rencontre  sur les marchés des produits de l’agriculture « industrielle » et « agro-écologique ». Cela ouvre un large champ de recherche, notamment pour les économistes.

A défaut, ces derniers pourraient se contenter d’estimer l’ampleur des coûts des « filets de sécurité » qu’ils faudrait mettre en place pour que survivent, à la campagne ou dans les bidonvilles, des centaines de millions de personnes exclus du marché du travail.