Situation politique et accaparement des terres au Mali

Étude/Synthèse/Article
Langue(s) : Français
Thématiques : Agrobusiness

Ibrahima Coulibaly est fondateur et président de la CNOP (coordination nationale des organisations paysannes du Mali) et vice-président du ROPPA (réseau des organisations paysannes d'Afrique de l'Ouest). De passage sur Paris pour participer à la conférence "la fin de la faim en 2050", il nous a livré son témoignage sur la situation politique du Mali et le problème d'accaparement des terres qui prend une grande importance.

CFSI : Quelle est la situation politique au Mali aujourd'hui?

I.C. : Le 22 mars, Amadou Toumani Touré (dit ATT) a été renversé par les militaires à un mois de l’élection où il aurait dû « désigner » son successeur. Cela n'aurait été qu' "une mascarade électorale". Le coup d'Etat a été facile car il y avait un grand ras le bol dans la société malienne et dans l'armée de la politique d'ATT. De plus, l'armée avait des moyens logistiques très faibles et pas adaptés pour combattre les salafistes dans le désert donc ils se sont rebellés !

Tout le monde a officiellement critiqué le coup d'Etat mais en fait les Maliens préfèrent la dictature militaire au système entretenu depuis des années par ATT : corruption croissante, absence de débat démocratique, marginalisation des mouvements d'opposition, campagne de dénigrement, pas d'accès aux médias nationaux , une seule chaîne d'information...

CFSI : Quelle est la situation plus particulièrement dans le nord du Mali?

I.C. : le mouvement islamiste « Ansar Dine » a pris le contrôle de 5 aéroports et des 3 métropoles du nord : Gao, Tombouctou et Kidal où ils imposent la charia par la force. Le MNLA (mouvement national pour la libération de l'Azawad) est le mouvement le plus visible mais a finalement peu de poids comparé aux islamistes.

Le problème majeur dans le nord Mali reste la situation alimentaire catastrophique. La situation la plus difficile est à Tombouctou où il n'y a plus rien à manger. Les paysans sont allés jusqu'à manger leurs propres semences. La négociation de couloirs humanitaires par les ONG avec les autorités est difficile mais le Haut Conseil Islamique aurait réussi. Son action va donc servir de test aux autres ONG.

CFSI : Parlez-nous du problème d'accaparement des terres au Mali ?

I.C. : La situation est grave. Des villages entiers sont rachetés par des entreprises et des violences sont commises contre les paysans qui refusent d'abandonner leurs terres. Les autorités veulent faire du Mali un nouveau Brésil !

Pour le Roppa, la priorité est la sécurisation de l'agriculture familiale. 75 % de la population malienne pratique l'agriculture familiale et s’auto-suffit : elle produit sa propre nourriture, ne demande pas d'argent à l'Etat et la famille assure la fonction de sécurité sociale. La destruction de l’agriculture familiale impliquée par l'accaparement des terres aurait donc de graves conséquences sociales et entraînerait, sans aucun doute, des troubles sociaux.

Une plainte a été déposée par le Roppa auprès des autorités maliennes contre l'accaparement des terres d'un village entier nommé Samandougou. Le gouvernement a répondu négativement à cette plainte en affirmant que la terre appartient à l'Etat malien et qu'elle en dispose comme bon lui semble. En réaction, le Roppa va organiser début juin le village des Sans-Terres devant le ministère de l'administration territoriale à Bamako, en espérant attirer l'attention des médias nationaux et internationaux. Une plainte a également été déposée à la cour de justice de la Cedeao.

D'autres cas d'accaparement des terres ont été recensés, notamment dans l'Office du Niger où un projet de plantation de canne à sucre destinée à la production de sucre et d'éthanol devrait voir le jour.

Voir aussi l'interview d'Ibrahim Sarr sur le développement agricole et la situation politique au Mali