Reconquérir le marché des oignons à Kayes au Mali

Expertise de terrain
Langue(s) : Français
Filières : Légumes
Pays : Mali

Ibrahim Sarr est directeur du Réseau régional des horticulteurs de Kayes (RHK), dans l'ouest du Mali. Alors que le désenclavement de Kayes a facilité l'arrivée de produits venus d'Europe, son défi est clair : renforcer la position sur les marchés des légumes locaux de qualité, dont la production est une source de revenus pour de nombreuses familles. Mais la crise politique et la psychose qui l'accompagne ont porté un coup sévère aux projets de développement agricole au Mali.

CFSI : Parmi toutes vos activités, pouvez-vous nous donner un exemple de projet qui a permis de sécuriser les revenus des paysans maliens ?

Ibrahim Sarr : Depuis 2009, le RHK a été soutenu par le CFSI pour renforcer la capacité des producteurs à produire des semences d'oignon. Une vingtaine de producteurs ont été formés et ont relayé les techniques auprès de leurs organisations membres. Le but était de diminuer la dépendance des producteurs à l'égard des engrais chimiques et de maîtriser la production avec des semences produites localement. Les semences hybrides produites par des firmes étrangères coûtaient très cher aux producteurs et ils n'avaient pas la possibilité de les reproduire. Aujourd'hui 80% des semences d'oignon sont produites localement, ce qui a permis de faire baisser les coûts et d'augmenter la production. Nous sommes maintenant mobilisés sur les questions de commercialisation car la production d'oignons se fait uniquement sur les mois de décembre à février à des prix peu rémunérateurs (125 francs CFA le kilo).

CFSI : D'où viennent les oignons vendus au Mali la plus grande partie de l’année ?

I.S. : De mars à novembre, les oignons viennent de Hollande. Il y a également des oignons sénégalais, mais ce sont les oignons hollandais qui occupent principalement le marché. Ils sont vendus entre 500 et 600 francs CFA (1 euro) le kilo. Cette année, nous avons mis en place une case de stockage qui nous a permis de conserver la production jusqu'au mois de juin. Il y a encore des améliorations à apporter, le taux de pourriture a été assez important car certains producteurs avaient utilisé des engrais à un mauvais moment. Nous sommes aussi en train d'expérimenter des séchoirs pour améliorer la conservation et nous développons des "champs-école" pour la production de bulbilles. Les bulbilles d'oignons peuvent être semés plus tôt et ainsi la récolte peut se faire dès le mois d'octobre. En écoulant la production de septembre à juin, les producteurs vendent à un meilleur prix et les consommateurs sont aussi gagnants puisqu'ils disposent d'oignons de qualité bon marché la plupart de l'année.

CFSI : La situation politique affecte-t-elle vos activités ?

I.S. : Oui évidemment. Le gouvernement américain est un de nos plus importants bailleurs et il a suspendu son aide. Sur le plan pratique, les déplacements sont parfois impossibles à cause de l'insécurité. Cette psychose affecte tout le monde, l'incertitude est totale, les gens ne sont pas enclin à investir. Même si nous ne sommes pas dans la zone contrôlée par les islamistes, les actes terroristes comme l'enlèvement d'un ressortissant français à Diéma, dans la région de Kayes, sont de nature à favoriser cette psychose.

CFSI : Quelle issue voyez-vous à cette crise ?

I.S. : La situation est complexe, la crise est à la fois sécuritaire et politique. Et il faut faire la différence entre les combattants touaregs, qui sont des maliens qui se sont rebellés pour défendre une cause, que l'on peut juger juste ou pas, et les terroristes islamistes qui essayent d'imposer une situation par la force. Le MNLA (mouvement touareg) qui cherchait l'indépendance par rapport au Mali s'est allié avec le MUJAO et l'AQMI dont l'objectif est la mise en place de la charia, avec la violence, le trafic de drogues. Leur alliance n'était pas tenable tant leurs buts étaient différents, le MNLA a été chassé du Mali. Il y a plusieurs réponses à cette crise, intervention militaire, négociations avec les touaregs, réforme politiques, appui économique...

 

Propos recueillis par le CFSI le 28 novembre 2012