Pour une alliance renouvelée industriels-éleveurs laitiers en Afrique de l'Ouest

Étude/Synthèse/Article
Langue(s) : Français
Thématiques : Elevage, Agrobusiness

Dans cette note d'orientation, deux chercheurs C. Corniaux et G. Duteurtre (Cirad) apprécient sous quelles conditions la récente vague d'investissement des groupes laitiers européens pourrait bénéficier à la filière lait local et aux éleveurs ouest-africains.

Boom des investissements laitiers

Le commerce de poudre de lait entre l'Afrique et l'Europe a pris de l'ampleur dès les années 1970. En revanche, depuis la fin des années 2000 et davantage encore dans les années 2010, la présence des firmes laitières en Afrique de l'Ouest a été marquée par des investissements sous forme de rachats de filiales, créations de joint-venture, ventes de licences ou de franchises. Avec la stagnation du marché européen, l'embargo russe, et les efforts de production laitière en Chine, les entreprises européennes ont accéléré la prospection des marchés dynamiques comme celui d'Afrique de l'Ouest. Mais c'est surtout la fin des quotas laitiers qui a été déterminant.

Pour la transformation de poudre importée...

A l'exception notable de Nestlé, toutes les firmes laitières d'Europe s'associent à des opérateurs déjà implantés pour bénéficier de facilités administratives et de leurs connaissances des marchés. Elles se concentrent sur l'approvisionnement des capitales, notamment les grands centres urbains côtiers, en utilisant comme matière première la poudre de lait importée. Le lait local occupe une place mineure dans leurs approvisionnement. Sur la centaine d'entreprises dénombrées en Afrique de l'Ouest, 80 ne collectent pas du tout le lait local.

et d'un peu de lait local

Pour les multinationales européennes, les débuts sont timides. En acquérant 30% de la Laiterie du Berger, Danone a fait figure de précurseur. L'idée a fait son chemin dans la direction des autres grands groupes laitiers. Une vingtaine d'entreprises ouest-africaines collectent du lait local en complément de la poudre de lait qui reste majoritaire. Seules deux laiteries collectent exclusivement du lait local (Tiviski en Mauritanie et Laiterie de Fada N'Gourma au Burkina Faso).

Une progression de la collecte qui pose question

Quelles sont les motivations pour collecter du lait local ? Cela peut être pour se conformer à la politique de RSE de l'entreprise, se prémunir contre la volatilité du cours mondial du lait ou encore une simple obligation légale comme pour Malilait à Bamako ou Arla au Nigéria. La structuration de bassins laitiers autour des capitales sera aussi un facteur déterminant pour développer l'engouement pour le lait local. Pour le moment, faute de moyens de collecte, seul 2 % du lait ouest-africain est acheminé vers une laiterie. La marge de progression est énorme pour la collecte industrielle locale. Mais en soutenant l'intensification des systèmes d'élevage, la place des pasteurs et agro-pasteurs pourrait être minimisée. En outre, le risque de perte de revenus pour les femmes est important.

Néanmoins le rôle à jouer de l'industrie laitière est indéniable

L'essor des minilaiteries a montré la voie pour dynamiser les bassins laitiers. Mais ce modèle de micro-entreprise montre aussi des limites en termes de volumes collectés et d'emplois créés. La puissance financière des multinationales devraient pouvoir contribuer au développement de la collecte du lait local. Pour cela, la Cedeao et les Etats devront mener des politiques volontaristes :

- en relevant progressivement le niveau de taxation des importations de poudre de lait (actuellement 5 %) ;

- en rendant le lait local plus attractif pour les industriels (exonération de TVA du matériel et des produits transformés à base de lait local) ;

- en amenant progressivement les laiteries à un taux minimal de collecte : dans de nombreux pays où l'élevage laitier constitue une force sociale, les firmes laitières implantées sont tenus d'incorporer un pourcentage minimal de lait local ;

- en favorisant la contractualisation et en responsabilisant aussi les fournisseurs de lait. Le renforcement des interprofessions peut y contribuer.