Nicolas Bricas du Cirad : "Le grand atout de l'agriculture familiale est la compétence des agriculteurs"

Étude/Synthèse/Article
Langue(s) : Français
Thématiques : Agriculture durable, Transformation et filière

L'avenir de l'agriculture en 2050 ne se pose pas seulement en termes de rendements, mais aussi de mode de production et d'emploi rural. Interview avec Nicolas Bricas, agro-économiste au Cirad

L’agriculture familiale est-elle capable de nourrir le monde en 2050 ?

La capacité de l’agriculture familiale à nourrir le monde est souvent discutée en termes de capacité à augmenter la production. Or il faut rappeler que la sécurité alimentaire aujourd’hui n’est plus, comme avant les années 80, une question de disponibilités. La production agricole progresse depuis des décennies à un rythme supérieur à celui de la croissance démographique, y compris là où on souffre de la faim comme en Chine, en Inde, ou en Afrique subsaharienne. La planète produit globalement plus que ce dont elle a besoin. Et l’insécurité alimentaire est d’abord un problème de pauvreté, d’accès à la terre ou aux moyens de production et à un pouvoir d’achat permettant de se nourrir correctement.

Si la question de nourrir 9 milliards d’humains en 2050 se pose c’est qu’il est peu probable que la planète puisse continuer de disposer des ressources non renouvelables - le charbon, le pétrole et les engrais minéraux - qui ont permis un tel accroissement de la production agricole depuis un siècle. La question est donc de savoir quelles formes d’agricultures sont les plus à même de nourrir une planète plus peuplée en consommant moins de  ressources rares.

Comment l’agriculture familiale peut-elle répondre à ce grand défi écologique ?

Il n’y a pas de solutions standards pour produire de façon économe. Il faut s’adapter à des sols, des climats, des prédateurs spécifiques à chaque environnement. Le grand atout de l’agriculture familiale est la compétence des agriculteurs qui ont su, depuis toujours, tirer parti des ressources à leur disposition pour produire dans des environnements très variés : de zones quasi désertiques à forts aléas climatiques et des forêts humides. La recherche a surtout conçu de nouvelles techniques tirant parti des ressources non renouvelables. Elle doit maintenant s’orienter vers une agro-écologie qui tire parti de la diversité des savoirs paysans et accompagne leur évolution pour faire face à un monde qui s’accélère, notamment avec le changement climatique.

L’agriculture familiale ne doit-elle pas relever aussi un enjeu social, celui de l’emploi ?

Dans des pays où la transition démographique n’est pas encore achevée, ce qui est le cas dans toute l’Afrique subsaharienne, cet enjeu de l’emploi est effectivement considérable. L’agriculture familiale est plus intensive en main d’œuvre que les formes plus industrielles, plus capitalistiques. Elle apparaît donc comme un secteur capable de relever le défi de l’absorption de l’afflux massif des jeunes sur le marché du travail. Mais n’oublions pas qu’agriculteur familial est aujourd’hui l’un des métiers les moins désirables qui soit pour les jeunes. Il faut réinvestir dans le rural pour réduire les différences croissantes de modes de vie et d’opportunités entre villes et campagnes. L’enjeu de l’emploi ne peut être relevé par la seule agriculture. Le secteur de l’agro-fourniture, de la transformation agro-alimentaire, de la distribution, de la restauration est de ce point de vue stratégique. Il constitue un immense vivier d’emplois, plus désirables, notamment pour les femmes, tant en milieu rural qu’en ville. Il peut contribuer à faire de l’agriculture familiale un secteur d’avenir, innovant, moderne, connecté au reste du monde. Son modèle de développement, entre une industrialisation rapide à capitaux étrangers et le maillage du territoire par un tissus de PME locales est un enjeu majeur, à la fois pour l’emploi, mais aussi pour l’environnement et pour les cultures alimentaires. Car ce qu’on mangera demain dépendra de la façon dont on le produira, le transformera, le commercialisera et le partagera. [...]

Article issu du numéro spécial d'Alternatives Economiques "Agriculture familiale, le défi", réalisé en partenariat avec le CFSI, dans le cadre de l'Année Internationale de l'agriculture familiale.