Pour que l'agriculture familiale nourrisse les villes

Expertise de terrain
Langue(s) : Français
Filières : Huiles, Légumes, Riz
Pays : Sénégal

Pape Assane Diop est conseiller technique pour la FONGS, mouvement paysan autonome sénégalais. La FONGS a fait d'importantes recherches sur les performances des exploitations familiales. Forte de cette expertise, elle entend insérer les exploitations agricoles dans des circuits de vente plus courts en direction des villes.

Photo : Pape Assane Diop

Vous souhaitez que l’agriculture familiale nourrisse les villes : il s’agit donc de diminuer les importations alimentaires  au Sénégal ?

C’est un des buts de l’action de la FONGS. Des chercheurs avançaient que l’agriculture familiale ne pouvait être productive, un actif agricole ne travaillant que sur un demi-hectare en moyenne dans le Bassin arachidier  (chiffre issu du rapport entre population agricole et terre disponible). Nous avons voulu le vérifier à partir d’une évaluation réalisée par les paysans eux-mêmes. En 2010, nous avons élaboré une typologie des exploitations familiales sénégalaises.

Quelles ont été les conclusions de cette évaluation ?

Il existe des exploitations familiales (EF) très performantes et excédentaires qui représentent 10 % de l’ensemble des exploitations. Sur une année, elles parviennent, grâce à leur récolte, à répondre à tous les besoins alimentaires et de santé de la famille. Pour la majorité des exploitations (70 %), les revenus agro-pastoraux ne leur permettent de se nourrir et de se soigner que sur une période allant de 3 à 12 mois. Et pour les 20 % restant, la période de couverture des besoins est inférieure à 3 mois. Nous avons partagé ces résultats avec les chercheurs mais aussi d’autres organisations de la société civile.

Nous avons aussi regardé dans quelle mesure les EF contribuent à remplir le panier de la ménagère sénégalaise. Nos recherches ont révélé que, sur plusieurs filières, le Sénégal est autosuffisant ou proche de l’être : par exemple sur la viande bovine (autosuffisance à 80 %), les céréales sèches (90 %), les produits maraîchers (80 %) et les produits avicoles (100 %). Ces bonnes performances sont contrecarrées par la dépendance du Sénégal aux importations de riz (seulement 25 % du riz consommé est local), de produits laitiers et de blé.

Pourquoi viser spécifiquement les marchés urbains ?

Le marché le plus prometteur, à côté de nos marchés ruraux, est le marché urbain sénégalais. Nous sommes convaincus que les exploitations familiales qui visent un marché particulier, au travers d’engagements entre leurs organisations et les clients, font les efforts nécessaires pour produire selon les exigences de qualité du marché. Quand le client précise ses attentes, cela se répercute sur toute la chaîne de production (approvisionnement, choix des variétés, des engrais, des itinéraires techniques). Il est alors nécessaire d’avoir un cahier des charges de production qui fixe les conditions pour l’ensemble de la filière, depuis l’approvisionnement jusqu’à la commercialisation. 

Les produits locaux sont-ils accessibles à tous ?

Il faut que les paysans parviennent à segmenter les marchés pour s’adapter aux exigences de tous les consommateurs. Par exemple, une association qui produit et commercialise des haricots verts va spécifier les produits selon les marchés. La meilleure qualité est destinée à l’exportation car les produits pour ce marché nécessitent de nombreux contrôles et doivent respecter pléthore de normes. Les haricots sont conditionnés dans de petites barquettes. La qualité intermédiaire est acheminée vers le marché dakarois. Les haricots de moindre qualité sont vendus dans les marchés ruraux locaux. Sur ces marchés, on va plutôt vendre dans des grands sacs de 40 à 50 kilogrammes à des collecteurs qui jouent consolident la production de masse. Et il y a moins d’exigence de calibrage des haricots et il n’est pas nécessaire de les emballer dans de petites barquettes, ce qui n’empêche pas la qualité. Ainsi, le produit reste accessible, chaque marché à ses propres exigences. [...]

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Propos recueillis le 18 juin 2014 par Bastien Breuil.

Creuser le sujet :

- Étude, Comment les exploitations familiales peuvent-elles nourrir le Sénégal ?, 2010

- Film, L'agriculture familiale peut-elle nourrir le Sénégal ?, 2011