Le système agroalimentaire industriel dérègle le climat

Étude/Synthèse/Article
Langue(s) : Français
Thématiques : Climat et énergie

Notre alimentation contribuerait à près de la moitié des émissions mondiales de gaz à effet de serre nous rappelle le magazine Transrural Initiatives. Notamment en raison des procédés industriels, de la déforestation et de l’élevage.

L’agriculture occupe plus de la moitié de la surface de la Terre et 40 % de ses habitants en vivent. Mais la 21e Conférence des Nations unies sur le climat (COP21) n’en fait pas une priorité, bien que la société civile l’ait demandé. L’objectif de limiter le réchauffement climatique à deux degrés, adopté lors du Sommet de Cancun en 2010, ne pourra pourtant pas être atteint sans une réforme profonde du système agroalimentaire industriel. Ce seuil, au-delà duquel les conséquences seraient imprévisibles, implique en effet de diviser les émissions de gaz à effet de serre (GES) par deux dans les pays en développement et par quatre dans les pays industrialisés d’ici à 2050 et par rapport à 1990.

Gaz carbonique, méthane et azote

L’impact de l’agriculture sur le climat, complexe à modéliser, est au cœur de débats scientifiques et politiques. D’après le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), certaines estimations comportent des marges d’incertitudes allant jusqu’à 150 %. Pour l’instant, la plupart des rapports et décisions politiques s’appuient uniquement sur l’impact de la production agricole, qui contribuerait, selon les modèles, à 10 à 15 % des émissions de GES d’origine humaine au niveau mondial. Pour l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), ce secteur a dégagé 5,3 milliards de tonnes équivalent CO2 en 2011, (+14 % par rapport à 2001), soit presque autant que les transports. Sa contribution est principalement liée aux rejets de méthane (CH4) issus de la digestion du bétail et du stockage du fumier, et de protoxyde d’azote (N2O) provenant des engrais. Des gaz aux pouvoirs réchauffant respectivement 25 et 300 fois plus forts que le CO2. 40 % des émissions du secteur sont ainsi liées à la fermentation entérique, contre 16 % pour le fumier laissé sur les pâturages, 13% pour les engrais de synthèse (N2O), 10 % pour la riziculture, 7 % pour la gestion du fumier et 5 % pour les brûlis.

Des responsabilités à différencier

Mais toutes les productions n’ont pas le même impact. L’élevage, notamment bovin, concentre l’essentiel des rejets de GES, une situation problématique au regard de l’augmentation prévue de la consommation mondiale de viande (+70 % d’ici 2050, selon la FAO). Toutes les agricultures n’ont pas non plus les mêmes responsabilités. Les tomates sous serre produites en hiver ont un bilan carbone 10 à 20 fois plus important que leurs cousines cultivées en plein champ. Mais attention aux raccourcis. « Rapportés au kilo, les produits biologiques n’ont pas globalement un meilleur bilan carbone que ceux en conventionnel, explique Cyrielle Den Hartigh, du Réseau action climat (Rac). Mais ils consomment moins d’engrais et d’autres intrants… Si on prend en compte les importations et le fait que la production biologique respecte les sols, leur bilan est meilleur. » Enfin, le périmètre (amont, aval des filières, capacité de stockage des sols…) pris en compte est déterminant. Si la FAO estime que l’intensité d’émission des exploitations bovines est plus mauvais dans les systèmes où le niveau de productivité est bas (notamment en Asie, en Afrique ou en Amérique latine) que dans les grandes exploitations européennes ou américaines, ces conclusions changent lorsqu’on affecte au bilan des exploitations industrielles les impacts de la déforestation (liée à l’alimentation du bétail) et ceux de la chaîne de transformation et de distribution. Et d’autant plus, si l’on prend en compte le stockage de CO2 dans les prairies des systèmes extensifs.

Plus de 70 % de la déforestation liée à l’agriculture

Pour aller plus loin, il faudrait donc pouvoir s’appuyer sur une analyse de l’ensemble du cycle de vie des aliments. L’ONG Grain s’y est essayée ; elle estime que le système agroindustriel mondial représenterait entre 44 et 57 % des émissions de GES. Un calcul qui prend en compte, en plus de la production, l’amont, notamment le changement d’affectation des terres et la déforestation causée par l’agriculture pour plus de 70 %, les transports, la transformation et l’emballage, la congélation, la vente au détail, la gestion des déchets…

Même constat au niveau de la France. En 2006, la production agricole représente 21 % de son bilan d’émissions de GES mais en rajoutant les émissions indirectes (transformation, transport, distribution, déchets…), la part du système alimentaire monte à 36 %, soit environ 171 millions de tonnes de CO2. Un chiffre qui ne prend pas en compte les émissions réalisées à l’étranger ; comptabiliser les rejets dus à l’importation des tourteaux de soja provenant essentiellement du Brésil ajouterait plus de 7,7 millions de tonnes de CO2 au bilan de l’agriculture française et ceux liés aux engrais et produits azotés près de 11 millions. D’autres études, partant de la consommation et non de la production, arrivent à des résultats similaires. « Si on reste sur les chiffres d’émissions de la production agricole seule, on ne propose que des solutions pour l’amélioration des pratiques, qui ne suffiront pas, alors que si l’on prend en compte l’ensemble du système alimentaire, on voit qu’il faut un véritable changement de modèle », note Cyrielle Den Hartigh.

Changer de modèle

Avec cette vue d’ensemble, les responsabilités - et les solutions - apparaissent plus clairement. Comme l’explique Ulrike Eberle, chercheuse à l’Institut Corsus, le système alimentaire n’est pas durable et c’est à cause, entre autres, « de l’industrialisation et la mondialisation de l’agriculture », « de la transformation des aliments » et des « changements des habitudes alimentaires et des modes de vie ». L’industrialisation de l’agriculture, née avec la machine à vapeur, a connu une accélération rapide au xxe siècle [...]

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Fabrice Bugnot, article paru dans Transrural Initiatives n°449 d'octobre 2015

 

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