Guerre en Ukraine : quels impacts sur les systèmes alimentaires ?

La guerre en Ukraine, « grenier à blé de l’Europe », a fait grimper les cours des matières premières. L’inquiétude gagne consommateurs et producteurs tant en Europe qu’en Afrique. 

L’envolée des prix des matières premières agricoles sur le marché international (+33 % pour le blé, +50 % pour le tournesol en quinze jours) s’explique par le conflit qui oppose l'Ukraine à la Russie, deux grandes puissances agricoles mondiales. Blé, colza, noix, miel, maïs sont autant de denrées exportées par l’Ukraine à travers le monde. Les envois de céréales passant par la mer Noire ont considérablement ralenti.

Un prétexte pour revoir à la baisse les ambitions écologiques de l’UE

La France, autre grand exportateur de blé, est moins inquiète pour la consommation humaine que pour les céréales destinées aux élevages. L’inflation des prix des aliments pour animaux affectera les revenus des éleveurs français de poules ou de porcs. 

L’ensemble du secteur agricole conventionnel est concerné par les fluctuations du prix des engrais, dont la Russie et la Biélorussie sont d’importants exportateurs : 25 % des engrais européens viennent de Russie. 

Profitant de ce climat d’incertitude, les organismes qui défendent le productivisme agricole remettent en cause la nécessité d’une transition des systèmes alimentaires. Sous la pression de la FNSEA (le syndicat agricole déclarait le 2 mars qu'il fallait “produire plus sur notre territoire”), le Commissaire européen à l’Agriculture a déjà annoncé une “réévaluation” de la stratégie From Farm to Fork qui vise à promouvoir l’alimentation locale, durable et saine. La guerre en Ukraine est ainsi un prétexte pour l’inaction politique[1]

Sur le continent africain, des conséquences inégales dans un contexte d’inflation généralisée

Dans les pays du Maghreb, les prix de certaines denrées alimentaires ont triplé, et des pénuries de semoules et de farine ont été rapportées. La flambée des prix amorcée avant la guerre est accélérée par le conflit et par le début des achats pour le Ramadan[2]. A l’inverse des recommandations de l’ONU, l’Algérie a interdit le 13 mars toute exportation de produits dérivés du blé[3].

Les télévisions béninoise et camerounaise rapportent une hausse du prix du pain ou une diminution du poids de la baguette, du fait de l'augmentation du prix de la farine de blé. La flambée des prix des denrées alimentaires en Afrique notamment de l’Ouest n’est pourtant pas une nouveauté. En témoigne Tata Ametoenyenou président de l’Organisation pour l’Alimentation et le Développement Local (Oadel) au Togo : 

“Il y a bien une montée des prix des produits alimentaires […], mais cette augmentation progressive est constatée depuis la pandémie et n'est pas liée directement à l'invasion russe de l'Ukraine [...]. Tout le monde craint la montée des prix de la farine de blé et donc du pain chez nous, mais pour le moment les prix sont stables.”

Depuis le début de la pandémie, les consommateurs africains subissent une inflation de plus en plus importante. La FAO évalue à 20 millions le nombre de personnes en insécurité alimentaire au Sahel et en l’Afrique de l’Ouest à cause de la hausse généralisée des prix des céréales (entre 20 et 40 % d’augmentation), des huiles végétales et du sucre[4]. Le journal Ivoire Soir désigne comme responsable les importations accrues de la Chine en denrées alimentaires depuis le début de la pandémie[5].

Un impact limité en Afrique grâce au dynamisme des filières locales

L’impact d’une guerre européenne sur l’alimentation en Afrique est donc à relativiser. L’agriculture familiale africaine est dynamique et s’adapte à la demande. La consommation alimentaire reste encore majoritairement locale[6] : maïs, sorgho, manioc, igname, riz local, fruits et légumes, etc. La dépendance aux importations est plus marquée dans les grandes villes côtières, où sont consommés davantage de riz, de blé et de maïs importés qu’en zones rurales.

Conséquence de politiques privilégiant les importations à bas prix, la faim est davantage due à la pauvreté, souvent des agriculteurs eux-mêmes, qu’à un manque de nourriture.

Un exemple de solution : la panification des céréales locales au Togo

Avec la formation de plus de 200 boulangères et 60 techniciens d’hygiène, l’Oadel au Togo valorise les farines locales de soja, sorgho et manioc pour obtenir un pain plus nutritif [7]. En plus de ces formations, l’association accompagne les producteurs locaux dans leur démarche en leur créant des débouchés. L’Oadel organise des tests auprès des consommateurs afin d’évaluer l’acceptabilité de l'incorporation d'une partie de céréales locales dans le pain et sensibilise le public aux enjeux du consommer local. Ce type de dynamiques favorise l’essor de chaînes de valeur pour créer des revenus au Togo et être plus résilient face aux fluctuations mondiales [8] .

CFSI, mars 2022

Pour creuser le sujet :

 

[1] https://reporterre.net/L-Ukraine-nouvel-alibi-de-l-agriculture-productiviste

[2] https://information.tv5monde.com/info/ukraine-russie-une-flambee-des-prix-inquiete-le-maghreb-avant-le-ramadan-448436

[3] https://www.lepoint.fr/afrique/l-algerie-interdit-l-exportation-des-produits-de-consommation-importes-15-03-2022-2468331_3826.php

[4]https://news.un.org/fr/story/2021/12/1110162#:~:text=Pr%C3%A8s%20de%2038%20millions%20de,le%20Programme%20alimentaire%20mondial%20des

[5] https://www.ivoiresoir.net/a-qui-profite-la-hausse-des-prix-en-afrique-de-louest/

[6] https://www.afd.fr/fr/ressources/lafrique-la-conquete-de-son-marche-alimentaire-interieur-enseignements-de-dix-ans-denquetes-aupres-des-menages-dafrique-de-louest-du-cameroun-et-du-tchad

[7] https://oadel-togo.org/valorisation-farines-panifiables-locales-togo/

[8] https://oadel-togo.org/projets-oadel-togo/