Décrypter la numérisation dans les filières agricoles et alimentaires

Étude/Synthèse/Article
Langue(s) : Français
Thématiques : Transformation et filière, Agrobusiness

De l’agriculture de précision aux applis smartphone scannant les produits, le numérique irrigue et transforme notre système alimentaire en profondeur. La Fondation Carasso et le bureau d’études Le Basic ont publié en 2021 un état des lieux du numérique dans les filières agricoles et alimentaires en France afin de dessiner des trajectoires possibles.

Un bouleversement des métiers, voire des logiques économiques de certains maillons

Le cas le plus flagrant est celui des agriculteurs qui passent d'un processus de décision empirique à technologique grâce à la récolte de nombreuses données géolocalisées. Le marché de ces technologies numériques agricoles est estimé à 4 milliards d'euros par an dans le monde. En France, leur adoption n'en est encore qu'à ses débuts.  

A l'aval, une nouvelle forme de distribution alimentaire se développe, hybridant les atouts du digital et l'offre physique de produits alimentaires ("phygital").

La numérisation comme catalyseur des modèles alternatifs...

Les outils numériques permettent des communautés d'échanges entre agriculteurs, en particulier ceux engagés dans une démarche de transition, et dynamisent les initiatives visant à mettre en relation directe agriculteurs et consommateurs. 

D'autre part, les consommateurs peuvent accéder à de plus en plus d'informations sur leurs actes d'achat. 25 % des Français utiliseraient au moins une application sur smartphone pour faire leurs courses, un changement de fond qui met sous pression les marques et distributeurs alimentaires. 

... tout en renforçant les acteurs les plus influents ?

L'adoption des outils numériques est très inégale en agriculture, mais elle est coûteuse et cumulative (plus un agriculteur est doté d'outils numériques, plus il a tendance à en acquérir de nouveaux). Elle accélère ainsi la tendance de long terme d'agrandissement des fermes. 

De plus, sous couvert de transparence, la numérisation vient renforcer le pilotage par l'aval des filières alimentaires.

Enfin, la connaissance plus fine des comportements de consommation obtenue grâce au numérique permet un marketing plus ciblé qui rend les consommateurs plus captifs. 

En tout état de cause, une polarisation des acteurs

Au niveau agricole, la numérisation accroît le fossé entre les exploitations tournées vers l'agriculture de firme et celles qui minimisent leurs structures de coûts et privilégient le lien avec leur environnement. La mise en réseau des agriculteurs via des plateformes numériques, si elle permet de connecter des individus parfois isolés, contribuent également à les enfermer avec des pairs partageant la même vision, accroissant de fait les incompréhensions. 

Au niveau de l'industrie et de la distribution, la numérisation contribue aussi à la polarisation :

  • entre les grandes entreprises mondialisées qui peuvent avoir des partenariats de grande envergure avec les sociétés de la "Big Tech" ;
  • les artisans et indépendants qui ont peu de temps et moyens disponibles mais qui sont de grands utilisateurs de solutions numériques standardisés.

Entre les deux, les acteurs de taille moyenne perdent du terrain. 

L'ampleur des bénéfices environnementaux ne fait pas consensus

Le numérique accroît les débouchés pour les produits respectueux de l'environnement et du bien-être animal. En revanche, les impacts environnementaux des circuits courts sont difficiles à évaluer du fait de leur fragmentation. 

Les avancées du numérique sont certes porteuses de promesses de réduction des impacts environnementaux des filières agricoles et alimentaires mais le marché oriente ces avancées vers les acteurs les plus influents, renforçant la captation de la valeur par certains acteurs. Or, pour assurer la durabilité et la résilience du système alimentaire actuel, il s'agirait au contraire de rendre possible des changements de modèle de production et de permettre leur diversité. Il apparaît primordial d'avoir un encadrement public pour orienter les avancées du numérique dans les directions les plus vertueuses. 

Voir l'analyse transverse (18 pages)

Voir le rapport complet (122 pages)