Crise alimentaire : fatalité ou scandale ? Colloque du CCFD-Terre Solidaire

Le mercredi 5 Octobre 2022, le CCFD organisait un colloque à la Maison de la Chimie à Paris. A cette occasion, une table ronde était organisée autour du thème de : « L’impact de la spéculation financière sur la crise des prix alimentaires », sur fond de conflit russo-ukrainien.

Cette table ronde réunissait : Margot Gibbs, journaliste au Lighthouse Reports et coordinatrice de l’enquête internationale « The Hunger Profiteers » ; Anabelle Couleau, professeure à l’Université EAFIT de Medellin (Colombie), spécialiste des marchés à terme agricoles ; le Dr. Steve Suppan, analyste au Institute for Agriculture and Trade Policy (IATP) ; Michael Fakhri, Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation (Right on Food) ; Sena Adessou, secrétaire général d’INADES-Formation et Jean-François Dubost, directeur du plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire. La table ronde était animée par Anne-Cécile Bras, journaliste à RFI et fut introduite et conclue par Sylvie Bukhari-de Pontual, Présidente du CCFD-Terre Solidaire.  

Ce résumé reprend les principaux éléments mis en exergue par les différents participants lors de la discussion.

La faim : un problème d’allocation des ressources

Les panélistes ont introduit la séance en rappelant que la faim n’est pas une nouveauté. L’agression russe en Ukraine n’a pas provoqué la crise alimentaire, elle lui préexistait, mais elle a été un catalyseur : les investissements sur le marché à terme (qui permet de convenir aujourd’hui d’un prix qu’on paiera plus tard)  ont explosé. En 2020, plus de 2 milliards d’individus souffraient de précarité alimentaire soit 30% de la population mondiale. Aujourd’hui 10% des européens en sont victimes. Selon les intervenants, plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène, d’une part, les inégalités (économiques, géographiques et sociales), de l’autre, les multiples conflits autour du globe, y compris celui qui a cours en Ukraine. En réalité, nous vivons dans un système agricole et alimentaire qui n’est pas efficace pour régler le problème de la faim. Le problème ne provient pas de la quantité de nourriture produite mais des systèmes de distribution : les ressources sont là, mais elles ne parviennent pas à ceux qui en ont le plus besoin. Décider où va l’argent, c'est l'activité principale de la finance internationale. Or, de plus en plus, les financiers s’intéressent à l’alimentation et ces denrées sont devenues la cible de spéculations non réfrénées, motivées par l’appât du gain.

Les marchés à terme et la flambée des prix

Seulement, selon Anabelle Couleau, pour chaque augmentation d’1% des prix de l’alimentation sur le marché international, 10 millions de personnes sombrent dans la précarité alimentaire. Le problème provient en très grande partie du marché à terme (qui permet de convenir aujourd’hui d’un prix qu’on paiera plus tard) de l’agriculture alimentaire. Sur ce marché, les traders classiques sont progressivement remplacés par les acteurs du “Trading à haute Fréquence (THF) ». Ce type de trading consiste à transmettre automatiquement et à très grande vitesse des ordres sur les marchés financiers, sans intervention humaine, à l’aide de programmes informatiques, transformant ces traders en véritables « profiteurs de la faim ».

Selon Sena Adessou, les retombées de la financiarisation de l’agriculture et de l’alimentation sont palpables. En Afrique, il y a une véritable flambée des prix des denrées de consommation de masse. Soja, maïs, sucre, pain, la plupart des prix ont augmenté de 10 % à plus de 100 %. En Côte d’Ivoire : l’attiéké a doublé de prix. Au pays du maïs, le Burkina, son prix a presque doublé. D’après lui, il est nécessaire d’instaurer une régulation au niveau international  en commençant par remettre en cause la place des marchés financiers mondiaux en matière d’alimentation. Il conclut : « Ils n’ont pas à décider de ce qu’il y a dans nos assiettes ». 

Que pouvons-nous faire ?

D’après les participants à la table ronde, nous devons mieux prévenir les crises futures, en anticipant les effets de la spéculation sur les denrées alimentaires. Pour limiter les dommages causés par la prédation internationale, il s’agit de reconstruire ces systèmes agricoles et de s’engager dans une transition vers l’agroécologie. La difficulté d’accès aux données qui permettraient de surveiller l’activité des marchés agricoles à terme rend compliquée l’identification de ceux qui y spéculent et les régulations existantes sont trop laxistes pour être efficaces.

Au terme de cette table ronde, il reste une question essentielle, posée par Sylvie Bukhari-de-Pontual : ne faudrait-il pas sortir l’alimentation des marchés à terme ? L’alimentation n’est pas un objet de spéculation mais un droit, celui d’avoir accès à une alimentation variée, locale et abordable.

CFSI, novembre 2022

Crédit photo : CCFD-Terre Solidaire