La filière lait ouest-africaine fragilisée par les exportations européennes

Le 22 octobre dernier, l’association Guinée 44* en coopération avec la Région Pays de la Loire, a réuni des acteurs du secteur alimentaire et agricole ligérien et du conseil régional pour réfléchir sur les enjeux partagés entre leur territoire et l’Afrique de l’Ouest, particulièrement sur la filière lait. Cette journée de réflexion s’est poursuivie par la projection, ouverte à tous, d’un film de la sélection ALIMENTERRE : Elles sèment le monde de demain, suivie d’un débat.  

Isabelle Duquesne, responsable programme Agriculture et alimentation au CFSI, est intervenue lors de cette journée, pour rapporter l’expérience issue des actions menées en Afrique de l’Ouest et soutenues par le programme Promotion de l’agriculture familiale en Afrique de l’Ouest (Pafao), porté par le CFSI et la Fondation de France.

Interview avec Isabelle Duquesne :

Quel était le(s) message(s) que vous vouliez faire passer aux acteurs présents à cette journée de lancement du festival ALIMENTERRE dans le Pays-de-la-Loire ?

La filière lait ouest-africaine existe.

Mon premier objectif était de dresser le panorama de cette filière. Faire prendre conscience que cette filière existe mais surtout qu’elle est très importante : elle fait vivre 230 millions de personnes et représente un cheptel de vaches (en nombre) aussi important que celui d’Europe.  Malgré l’importance économique, sociale, culturelle et alimentaire de cette filière, les éleveurs ouest-africains sont une population vulnérable.

Mon deuxième message était de montrer la richesse de cette filière en matière d’innovations. À travers les initiatives que nous soutenons dans cette région nous pouvons témoigner de l’existence de dynamiques d’innovation pour approvisionner les marchés, urbains et ruraux, en lait local (travail sur la qualité sanitaire, centres de collecte, aliments bétail pour assurer la production toute l’année, transformation en produits adaptés aux goûts des consommateurs, etc.). Et le potentiel est énorme !

Mon dernier objectif était d’expliquer les impacts négatifs de nos modes de production (en Europe) sur la filière ouest-africaine. Nous produisons trop de lait, que nous exportons sous forme de poudre, souvent ré-engraissée à l’huile de palme. Importée en sacs de 25 kg, elle est considérée comme « matière première » et est – à ce titre –  taxée uniquement à 5 % à l’entrée du territoire africain. Or, une grande partie de cette poudre de lait, une fois sur le territoire africain est reconditionnée et reconstituée sous forme liquide. Vendue en moyenne 30 % moins cher que le lait local, cette  poudre de lait, souvent mal étiquetée, entre en concurrence directe avec la production locale. La poudre de lait pourrait pourtant être taxée, comme d’autres produits transformés et considérés comme stratégiques, à 10, 20 ou 35 % de sa valeur.

D’après votre connaissance du contexte ouest-africain, quels sont les enjeux partagés entre le territoire nantais et l’Afrique de l’Ouest ? (ou un exemple concret)

Il est important de connaître les 3 réalités que je viens d’énoncer. Je pense qu’une vraie distinction est à faire entre les « impacts de nos modes de production » et les « enjeux partagés ».

Le premier enjeu partagé sur le lait, porte sur la question de vivre dignement de son travail. De même que leurs homologues ouest-africains, les éleveurs européens ne vivent pas correctement de leur travail. En une trentaine d’année, touchées de plein fouet par le modèle productiviste, c’est 80 % des exploitations laitières qui ont disparu.

Un deuxième enjeu partagé entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest porte sur la répartition de la valeur ajoutée. Certains maillons de la chaîne accaparent la valeur ajoutée. C’est un fait avéré pour la grande distribution en France et en Europe. Ce modèle de  grande distribution se développe à grand pas en Afrique de l’Ouest et constitue un terrain de  bataille commun.

Quels moyens d’actions avons-nous ? Pourquoi la mobilisation ici est-elle nécessaire pour avoir un impact là-bas ?

Nous avons besoin d’une transition vers un modèle d’élevage durable, qui ne soit pas porteur d’externalités négatives, environnementales et sociales, y compris en ce qui concerne l’impact sur les filières des pays du Sud.

Pour y contribuer, le CFSI articule plusieurs modes d’action visant à :

  • changer nos modes de production par la sensibilisation des futurs professionnels et des professionnels du lait, pour qu’ils prennent conscience de ces interdépendances, et de l’impact de leurs pratiques sur leurs pairs ouest-africains. Cette transition demande aussi de montrer des alternatives possibles ;
  • changer nos modes de consommation par la sensibilisation du grand public sur l’importance de soutenir les filières locales ;
  • changer notre cadre politique et législatif pour que les politiques commerciales par exemple n’entrent pas en contradiction avec cette transition vers un modèle durable.

 

Ce travail de sensibilisation des citoyens, des professionnels et des politiques, a aussi lieu en Afrique de l’Ouest, à travers la campagne  « Mon lait est local » qui sensibilise les acteurs à l’importance de consommer local. Cette campagne est menée de façon conjointe avec la campagne européenne « N’exportons pas nos problèmes », qui traite des mêmes enjeux.

*Guinée 44 est coordination ALIMENTERRE sur le territoire nantais.