Afrique de l'Ouest : consommer local pour rompre la dépendance

Expertise de terrain
Langue(s) : Français
Filières : Multifilières

Agroéconomiste, Cécile Broutin est responsable de programmes Agriculture familiale et filières agroalimentaires au sein du Gret. Elle a travaillé dix-huit ans au Sénégal et acquis une grande expertise sur l’aval des filières agricoles en Afrique de l’Ouest, transformation et commercialisation. (Photo : Cécile Broutin)

La crise alimentaire de 2008 a entraîné un regain d’intérêt pour l’agriculture. Le regard porté par les dirigeants africains sur leurs agriculteurs a-t-il changé ?

Il s’agit davantage d’une prise de conscience que d’un regain d'intérêt. Les bailleurs de fonds ont compris qu’il fallait appuyer une agriculture qui nourrisse les pays pour diminuer leur dépendance aux importations. Ces importations sont souvent des excédents de production d’Asie (riz) ou d'Europe (blé, lait). Au vu de l'instabilité du cours des matières agricoles sur les marchés mondiaux, au moindre choc, les exportations des pays producteurs diminuent et les prix flambent.  Les États ont eu des réactions variables mais l'orientation de la politique agricole de l'Afrique de l’Ouest traduit aussi cette prise de conscience, sans toutefois remettre en cause l’agrobusiness. Il n'y a pas, de la part des États, de positionnement clair pour l’un ou l’autre modèle ni d’appui significatif à l’agriculture familiale.

Comment l’expliquer ?

Les représentations collectives sont très influencées par les modèles de développement des pays du Nord, les bailleurs de fonds, les ONG, etc. L’idée que l'agriculture africaine ne répond pas, ou ne peut pas répondre, aux besoins des populations reste prégnante. Mais des chercheurs et les praticiens du développement battent en brèche l’idée que l’agriculture familiale africaine n’a pas su progresser. Quand on regarde les chiffres, la production a fortement augmenté. La production de riz a par exemple été multipliée par 4 entre 1980 et 2006. Dans les documents du Gret, nous essayons de faire circuler ces chiffres. Les bémols sont que la production augmente surtout par l'accroissement des surfaces, les rendements progressent peu. La production reste insuffisante face à la forte croissance démographique. La place des importations alimentaires augmente. L’agriculture familiale est dynamique, mais elle a d’énormes besoins d’appui, comme toutes les agricultures du monde.

 

Vous parlez d’inverser la logique classique pour penser les filières à partir de la demande des consommateurs et de l’aval : l’idée a déjà fait son chemin ?

L'idée n’est pas nouvelle (rires). Il y a des publications sur ce sujet depuis 20 ans, notamment dans les collections du Gret. Le « pilotage des filières par l’aval » est de plus en plus présent dans les discours, mais pas encore dans les pratiques même si cela progresse un peu : lorsque l’on construit un projet, on s’interroge sur la demande, la consommation, mais on en revient toujours in fine à la production, à un raisonnement par une offre de produits et non par la réponse à une demande existante. Il faut du temps pour réussir à renverser la réflexion. Le marché intérieur devient peu à peu plus important que celui des exportations. L’intérêt pour les marchés nationaux va croître. Les ruraux achètent de plus en plus leur nourriture. Au Gret, nous travaillons parfois sur les filières d’exportation car les marchés de niche à forte valeur ajoutée peuvent être intéressants. Mais nous restons prudents auprès des agriculteurs à cause des grandes monocultures qui ont fait des ravages. Notre objectif est avant tout de favoriser la connexion entre productions rurales et marchés de consommation urbains nationaux. [...]

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Propos recueillis en juillet 2014 par Bastien Breuil (CFSI), édités par Hélène Basquin (CFSI) en décembre 2014. Photos © Cécile Broutin

Creuser le sujet

- Information, L'industrie agro-alimentaire africaine frémit, 2014

- Étude, Comment améliorer l'accès au marché pour les exploitations familiales ? 2014

- Étude, Les agricultures africaines – transformation et perspectives, 2014

- Témoignage, De nouveaux produits pour réinvestir le marché local en Guinée-Bissau, 2014