La proposition de la Commission Européenne sur le changement d'affectation du sol indirect

Étude/Synthèse/Article
Langue(s) : Anglais
Thématiques : Climat et énergie

Cette note de l'IEEP analyse la récente proposition législative de la Commission européenne (voir brève du 24/10/12) sur la prise en compte du changement d'affectation des sols indirect (effet CASI) dans la politique énergétique de l'UE. L'utilisation d'agrocarburants s'est accrue en Europe en réponse aux objectifs fixés par Bruxelles, soit pour le secteur des transports 10 % d'énergies renouvelables d'ici à 2020. L'effet CASI sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) a cependant été occulté.

Avec un retard de deux ans, la Commission Européenne a finalement fait une proposition le 17 octobre 2012 pour prendre en compte les facteurs de CASI et amender les directives sur les énergies renouvelables (ENR) et sur la qualité des carburants (DQC). La mise en culture d'agrocarburants provoque le déplacement de cultures antérieures qui remplacent elles-mêmes d’autres couvertures comme des forêts, et la réduction des émissions de GES par rapport à l'utilisation d'énergie fossile n'est donc pas assurée.

Une version provisoire a circulé officieusement à la mi-septembre et les groupes agro-industriels ont fait un gros travail de lobbying durant les quelques semaines précédant la publication officielle. La conséquence la plus importante de ces pressions est l'abandon des facteurs CASI dans les calculs sur la durabilité des agrocarburants (une des conditions à remplir est la réduction des émissions de GES par rapport aux carburants fossiles d'au moins 35%). Les facteurs CASI seront bien estimés mais il n'en résultera aucune obligation pour les Etats membres. Il y a une contradiction entre la reconnaissance par la Commission des facteurs CASI et l'absence de prise en compte effective.

La plus grande modification est la limitation à 5 % des agrocarburants produits à partir de plantes alimentaires (céréales, sucre, etc.) dans l'atteinte de l'objectif fixé par la directive ENR de 10 % d'énergies renouvelables dans le secteur des transports à l'horizon 2020. Cela reflète la reconnaissance par la Commission des effets des agrocarburants classiques sur les marchés agricoles et les prix alimentaires. Mais la production d'agrocarburants à partir de plantes non alimentaires (telles le jatropha) ne règle pas réellement le problème car elle nécessite tout autant de terres arables avec les effets CASI, la pression foncière et les effets sur les prix qui en découlent.

Cette limitation est toutefois lourde de conséquence pour les Etats membres de l'UE qui ont déjà dépassé les 5 % (Autriche, France, Allemagne, Pologne, Slovaquie, Suède). Les niveaux de production actuels sont importants pour comprendre les futures négociations au sein du Conseil.

L'objectif fixé par la directive DQC sur la qualité des carburants, c'est-à-dire la réduction des émissions de GES des carburants de 6 % d'ici 2020, demeure inchangé. Or, limiter à 5 % les agrocarburants issus de plantes alimentaires va rendre très difficile l'atteinte de cet objectif sans une augmentation massive de la production d'agrocarburants de seconde génération. La consommation d'agrocarburants dans les transports va ainsi certainement largement dépasser les 5 % dans la plupart des Etats membres à cause cet objectif DQC.

Pour encourager l'utilisation des agrocarburants issus des déchets et des résidus de récolte, la Commission propose des facteurs multiplicateurs de 2 ou 3 pour comptabiliser leur valeur énergétique. Ce sont des agrocarburants ayant peu d'effets CASI et il est a priori souhaitable de leur donner la priorité. Ces incitations posent tout de même de nombreuses questions sur les effets induits de la réorientation des déchets et résidus vers la chaîne de production énergétique. Par exemple la paille pourrait devenir une source d'énergie importante en Europe mais une partie doit rester sur le sol pour empêcher sa dégradation. Quels garde-fous seront posés aux nouvelles filières économiques créées ?

La proposition provisoire divulguée en septembre proposait d'introduire une nouvelle condition à effet immédiat de réduction minimale de 60 % des émissions de GES pour les unités de production d'agrocarburants. Finalement, cette condition ne s'appliquera qu'aux installations qui rentreront en service après le 1er juillet 2014. Comme le secteur des agrocarburants est actuellement en surcapacité dans l'UE, il n'y a pas de nouvelles infrastructures prévues dans un futur proche et cette nouvelle disposition n'aurait donc pas d'effet important sur le secteur.