Phyto-victimes : une révolution dans le monde agricole ?

Étude/Synthèse/Article
Langue(s) : Français
Thématiques : Agrobusiness

Transrural Inititiatives donne la parole à une doctorante qui travaille sur la mobilisation des victimes dans les affaires de santé publique. Elle étudie le processus par lequel une question d’ordre privé devient un problème public et le rôle joué par les associations de victimes dans la mise en lumière de ces affaires.

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L’association Phyto-victimes a été créée en mars 2011 alors que les pesticides sont manipulés par les agriculteurs depuis plus de cinquante ans. N’en connaissait-on pas les effets ?

Coline Salaris : Les effets des produits phytosanitaires sont connus depuis longtemps, mais il n’y a jamais eu de prise de conscience réelle ni du côté des professionnels, ni du côté des pouvoirs publics. Dans les années 1960, la biologiste Rachel Carson1, a été l’une des premières à dénoncer les effets sur l’homme d’un insecticide, le DDT, qui fut alors interdit aux États -Unis puis ailleurs dans le monde. Seulement, en agriculture, il existe une multitude de produits et de substances. Ce n’est pas parce que l’une d’entre elles va être interdite qu’il y a une remise en cause générale des pesticides, d’autant que le système agricole français repose en très grande partie sur ce modèle…

Quelles ont été les grandes étapes de la mobilisation des agriculteurs victimes de pesticides qui ne semblait pas aller de soi ?

C. S. : La première étape a été l’appel de Ruffec en janvier 2010. Plusieurs agriculteurs se sont réunis autour de Paul François, un viticulteur charentais qui, après une intoxication aiguë au Lasso, a porté plainte contre Monsanto. Cet appel était également lancé par d’autres acteurs, comme l’association Générations futures et des journalistes indépendants. Mais l’association Phyto-victimes n’a été créée qu’un an plus tard, après  le décès de l’un d’entre eux. De manière générale, la mobilisation collective d’individus qui sont a priori isolés et ne se connaissent pas, ne va pas de soi. Par ailleurs, comprendre les causes de sa maladie, dans le cas de maladies chroniques comme le cancer, est particulièrement difficile. Au départ, il faut donc qu’il y ait des précurseurs, c’est-à-dire des victimes qui prennent la parole et ouvrent la voie de la mobilisation. Dans le cas des agriculteurs, nous pourrions penser que le fait de partager une même profession pourrait faciliter la formation d’un groupe de victimes. C’est en partie vrai. Mais, dans le même temps, une mobilisation contre les produits phytosanitaires est bien souvent vue par la profession comme une forme de trahison. L’idée qui domine est qu’on ne peut pas faire sans ces produits. Pour ces « phyto-victimes » qui croyaient elles-mêmes aux vertus des pesticides et qui de plus n’avaient pas forcément la culture des mobilisations collectives, cela représente un  vrai changement de paradigme.

À quelles difficultés s’est heurtée l’association Phyto-victimes à sa création ?

C. S. : Les agriculteurs ont souvent été jugés comme étant des agitateurs. Certains ont même reçu des menaces, ou affronté des conflits au sein de leur propre famille… Mais le plus gros défi que l’association a dû relever était l’exigence de crédibilité, pour que les agriculteurs à son origine ne soient pas accusés de défendre des intérêts égocentrés, de vouloir uniquement obtenir des dédommagements. Répondre à cette exigence est passé par la structuration en association, la collaboration avec des scientifiques, des médecins et des avocats, l’organisation de réunions publiques… Un travail de fourmi a été réalisé auprès des pouvoirs publics, afin de s’imposer comme des interlocuteurs fiables, ce qui est en partie le cas aujourd’hui.

Où en est-on de la reconnaissance des maladies professionnelles liées aux pesticides ?

C. S. : Pour qu’il y ait reconnaissance, la maladie doit être inscrite au tableau des maladies professionnelles de la MSA [Mutualité sociale agricole], mais ces tableaux restent très limités. Des évolutions récentes ont néanmoins eu lieu ; elles concernent la maladie de Parkinson, qui est entrée dans un tableau en 2012. Les études sont moins claires sur le lien entre Alzheimer et les phytosanitaires, mais le plus problématique reste les cancers dont il est difficile d’isoler une cause2. La reconnaissance se fait d’ailleurs toujours au cas par cas. Il faut que la victime constitue un important dossier de preuves, qui passe devant un comité et les décisions peuvent être très différentes d’une MSA à l’autre.

Quel rôle a joué ou peut jouer l’association dans la prise de conscience des professionnels, des pouvoirs publics et du grand public ?

C. S. : Depuis quelques années, le rapport de force s’est en partie atténué, notamment du fait de la mobilisation de ces agriculteurs. Les médias ont su relayer des témoignages et certains faits divers ont par ailleurs eu un écho important auprès du grand public qui connait donc mieux les effets toxiques de ces produits. Les ouvrages et les documentaires diffusés à des heures de grande audience se sont également multipliés. L’association a su s’entourer de parlementaires très sensibilisés, comme la sénatrice Nicole Bonnefoy à l’origine d’un rapport parlementaire sur le sujet. La loi d’avenir agricole votée en septembre dernier interdit l’épandage près des établissements publics, les surfaces converties en agriculture bio gagnent 4% chaque année… Finalement, cette conjonction d’éléments, à laquelle l’association Phyto-victimes et ses membres ont pris part, fait qu’une prise de conscience plus générale semble en partie voir le jour.

Mélanie Théodore (FNCivam) paru dans le numéro 439 deTransrural Initiatives octobre 2014

 

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1- Auteure de Printemps silencieux, publié aux États-Unis en 1962, où elle dénonce les conséquences sur l’environnement et la santé du DDT, un insecticide d’abord utilisé pour lutter contre les poux pendant la Seconde Guerre mondiale, puis contre le paludisme et, enfin, comme insecticide agricole. Ce livre conduira à une prise de conscience publique et à l’interdiction du DDT. 2- L’étude Agrican (cf. TRI nos 394 et 397), lancée en 2005, doit se poursuivre jusqu’en 2020. Ses premiers résultats montrent que les agriculteurs souffrent moins de cancers que la population générale bien qu’ils soient surreprésentés pour certains cancers particuliers.