La Chine investit dans le lait en Bretagne

Étude/Synthèse/Article
Langue(s) : Français
Thématiques : Elevage, Agrobusiness

Dans le Finistère, un géant de l'agro-industrie chinoise doit faire construire d'ici 2015 une usine de poudre de lait infantile. Le magazine Transrural Initiatives revient sur le contexte chinois de dépendance alimentaire et sur les inquiétudes que ce projet suscite.

208 millions de litres de lait par an transformés en poudre pour le marché chinois, création de 160 emplois, un investissement de 100 millions d’euros porté à 90 % par l’agro-industriel chinois Synutra et à 10 % par Sodiaal, première coopérative laitière française… C’est le plus gros investissement chinois à l’étranger dans la filière lait. Christian Troadec, maire de Carhaix et fondateur du festival des Vieilles charrues, a déroulé le tapis rouge à Liang Zhang, PDG de Synutra lors de sa visite dans la région en décembre dernier. « On est ici plutôt favorable au projet car c’est un investissement pour valoriser notre lait et cela permettra d’être plus efficace face aux aléas des prix du marché avec la fin des quotas laitiers prévus pour 2015 », témoigne Pascal Prigent, éleveur laitier livrant chez Sodiaal et vice-président de la FDSEA du Finistère. Pour Vincent Pennobert et Yvon Cras, de la Confédération paysanne locale, « 280 millions de litres de lait, c’est 6 % de la production annuelle bretonne : on ne peut pas balayer ça d’un revers de main. 700 producteurs de lait seraient concernés et pour Sodiaal, il s’agirait de mieux valoriser des pics de production où le lait finit par partir sur les marchés à bas prix. »

Colosse aux pieds argiles

Mais pourquoi la Chine, première puissance agricole mondiale, veut-elle acheter du lait en Bretagne ? Malgré une politique agricole forte, la souveraineté alimentaire chinoise n’est pas encore à l’ordre du jour. Selon une étude du Centre d’études et de prospective (CEP) du ministère en charge de l’agriculture, elle est grande importatrice depuis dix ans de soja et d’huiles végétales et fait face à de nombreuses contraintes foncières (urbanisation galopante, faibles surfaces cultivables) mais aussi sanitaires. Avec 200 millions de petits fermiers peu rémunérés et des filières encore mal structurées, il manquerait au moins 100 000 inspecteurs sanitaires au pays : 15 % des consommateurs en Chine seraient ainsi victimes chaque année d’intoxication alimentaire… Le secteur laitier chinois est quant à lui entaché par le scandale du lait à la mélamine, un additif qui a provoqué en 2008 la mort de six enfants et des problèmes de santé chez près de 300 000 autres. Toujours selon le CEP, face à ces problèmes sanitaires récurrents, les classes moyennes et aisées chinoises, en plein essor, choisissent de consommer de plus en plus de produits agroalimentaires importés, qui, s’ils sont plus onéreux, sont synonymes de sécurité sanitaire.

Inquiétudes

Alors que beaucoup de producteurs laitiers travaillent actuellement à perte, le PDG de Synutra assure : « Je suis le premier à venir, mais pas le dernier. Vous avez un lait de haute qualité, l’avenir est donc ici. On dit que le lait français est cher mais, à l’avenir, il sera plus compétitif.»  Malgré la promesse d’un prix d’achat du lait intéressant, ces propos ne rassurent pas les éleveurs : « On n’a aucune idée de la nature du contrat signé entre Sodiaal et Synutra, s’alarme Pascal Prigent. Nous aurions préféré une consultation de la filière locale en amont du projet afin de garder la maîtrise de l’outil de transformation. On espère aussi qu’il y aura d’ici 2015 encore assez d’éleveurs laitiers pour fournir cette usine. » Quant à la Confédération paysanne du Finistère, elle s’inquiète du fait que ce type de projets encourage un modèle de production laitière qui favorise encore plus la concentration des exploitations et des systèmes d’élevage très dépendants du maïs et du soja importés…